La virilisation des corps en Histoire politique : cours dialogué sur les représentations de l’empereur Auguste et ses héritages de l’Antiquité à aujourd’hui
1. Cadre du cours
Il s’agit d’une activité courte mise en place dans un cours d’Histoire en classe de 2nde. Elle peut servir de base pour construire une séquence plus longue, notamment en Histoire des Arts, en Éducation Morale et Civique ou en Sciences Economiques et Sociales.
Matière : Histoire.
Niveau : 2nde générale et technologique.
Thème du programme concerné : Point de passage sur Auguste (« Le principat d’Auguste et la naissance de l’empire romain »), au sein du premier chapitre d’Histoire (« La Méditerranée antique : les empreintes grecques et romaines »).
Durée : Environ quarante minutes, mais avec des adaptations possibles pour mettre en place un format plus court ou plus long.
2. Présentation du contenu du cours
L’objectif de l’activité est de faire réfléchir les élèves sur la dimension patriarcale du pouvoir politique ainsi que sur les stéréotypes de genre que cela entraîne, à savoir la virilisation des figures de pouvoir. Il s’agit de partir de l’exemple de l’empereur Auguste, à une époque où les femmes sont exclues de la citoyenneté et donc de toute capacité de représentation politique, puis de parcourir plusieurs époques de l’Histoire pour montrer que des héritages de cette culture politique sexiste sont encore présents et actifs dans le monde contemporain.
a) Auguste Prima Porta : un archétype de la masculinité virile à l’Antiquité
Auguste est d’abord présenté aux élèves grâce la statue Prima Porta. Cela leur permet d’aborder la notion de stratégie de légitimation du pouvoir.
En effet, les élèves ont précédemment vu que Jules César a été assassiné car ses adversaires craignaient que le fait qu’il soit nommé dictateur à vie en -44 entraîne un retour à la monarchie (alors que Rome est une République depuis -509). Après sa victoire contre Marc Antoine (bataille d’Actium en -31) et lorsqu’il fonde l’Empire romain en -27, Auguste tente donc de concentrer les pouvoirs sans représenter une telle menace pour les sénateurs et autres oligarques romains. Les notions de principat et de culte impérial sont alors présentées aux élèves comme des stratégies pour légitimer son autorité tout en conservant des illusions de partage du pouvoir.
En précisant que la statue Prima Porta fait deux mètres de hauteur, il est alors demandé aux élèves de réfléchir à pourquoi une telle représentation artistique participe à la légitimation du pouvoir de l’empereur. Plusieurs éléments peuvent être mis en avant : ses conquêtes, des liens avec le divin qui font référence au culte impérial (Auguste, d’abord Octave, a été renommé ainsi en référence aux augures de la religion romaine), sa parenté avec Jules César…
Ensuite, une vidéo est montrée aux élèves. Il s’agit d’une scène de la série Rome (Milius, MacDonald, Heller, 2005) où Auguste apparaît lors de la cérémonie du triomphe. Avant de passer la vidéo, il est demandé aux élèves d’observer les différences entre les représentations d’Auguste véhiculées par la statue Prima Porta et par la série Rome.
Les éléments de réponse qui peuvent être apportés sont liés au fait que la statue, qui a un but de légitimation du pouvoir de l’empereur, semble moins proche de la réalité historique que la série. Dans Rome, Auguste semble jeune, frêle, et en somme bien moins viril que sa représentation sculpturale (ce que les sources sur l’aspect physique d’Auguste semblent confirmer).
b) L’héritage de la virilisation du pouvoir politique à l’époque des rois de France
Pour poursuivre la réflexion et montrer qu’il y a des continuités entre la culture politique sexiste de l’Antiquité et celle d’autres époques historiques, des portraits royaux sont montrés aux élèves.
Il s’agit de François Ier (roi de France de 1515 à 1547), Louis XIV (roi de France de 1643 à 1715) et Napoléon Ier (Empereur des Français de 1804 à 1814). Les élèves doivent avoir en tête que ces règnes se situent toujours à une époque où les femmes sont exclues de la vie politique.
Plusieurs points de comparaison apparaissent entre ces trois portraits et la statue Prima Porta d’Auguste : la taille imposante des œuvres, les attributs guerriers, l’exagération des traits virils des personnages (la déformation de la carrure de François Ier est particulièrement visible)… Observer cela avec les élèves permet de mieux leur expliquer la notion de légitimation du pouvoir, qui pourra d’ailleurs être reprise plus tard dans l’année (thème 3 sur l’Etat à l’Epoque moderne) ou en classe de 1ère (thème 1 où l’Empire napoléonien doit être abordé).
c) La culture politique aujourd’hui : des stratégies de communication qui restent virilistes et sexistes
Un des objectifs de l’enseignement de l’Histoire étant de faire des liens entre le passé et le présent (notamment avec le premier thème de 2nde qui parle des « empreintes » de l’Antiquité), l’activité se conclut par une évocation de la culture politique d’aujourd’hui.
Si les stratégies de virilisation des responsables politiques nous semblent moins visibles aujourd’hui que dans le passé, elles existent tout de même et sont toujours utilisées à des fins de légitimation politique.
Pour que les élèves prennent conscience de cela, deux photographies ont été choisies : la première montre le président russe Vladimir Poutine torse nu, un fusil à la main. La seconde montre l’ancien président français Nicolas Sarkozy, utilisant un tabouret lors d’un discours officiel. Ces deux photographies mettent en avant deux caractéristiques viriles participant des modèles de masculinité hégémonique : la musculature et la taille. Elles permettent de montrer que l’image des représentants politiques est toujours construite de manière stratégique (et sexiste), non plus sous forme de culte religieux, mais de ce qu’on appelle aujourd’hui la communication politique.
Il est important de préciser que le but n’est pas de ridiculiser Nicolas Sarkozy, mais justement de montrer que sa petite taille est déjà interprétée comme un signe de faiblesse politique, quelque chose qui le décrédibiliserait par rapport à ses concurrents. Le tabouret, et les talonnettes qu’il utilise à d’autres occasions, peuvent donc être présentées comme une stratégie d’adaptation à la culture politique viriliste.
Pour mieux mettre en évidence le caractère patriarcal et sexiste de ces stratégies de communication, il est possible de montrer aux élèves une couverture de Paris-Match datant de 2019 (à l’occasion de la sortie du livre du politicien, donc dans un contexte où il cherche à réaffirmer ses idées politiques), où il semble plus grand que son épouse Carla Bruni. En réalité, Nicolas Sarkozy mesure 1m66 et Carla Bruni 1m75.
Selon le magazine, la photographie n’a pas été retouchée, mais avoir choisi cette mise en scène où l’ancien président se situe sur une marche haute, montre bien qu’il y a aujourd’hui des stratégies de communication qui virilisent les hommes, au détriment des femmes qui sont représentées comme plus fragiles, et donc implicitement moins compétentes en termes politiques.
Pour conclure, deux photographies du G8 (2015) et du G7 (2018) ont été montrées aux élèves.
Cela permet d’évoquer l’état de la culture politique aujourd’hui, à une échelle mondiale : faible présence des femmes, standardisation des attributs du pouvoir (costume jugé comme seule tenue sérieuse, et adopté par les femmes politiques), impératif de se tenir droit, la tête haute, d’être bien rasé et bien coiffé·e, de sourire…
La conclusion donnée aux élèves est donc double : ce modèle viriliste de légitimation des figures de pouvoir, hérité de l’Antiquité et réactualisé à travers les différentes époques historiques, participe à la fois à exclure les femmes de la vie politique et à pousser les hommes à perpétuer des stéréotypes de masculinité hégémonique. Les héritages de l’Antiquité ne sont donc pas uniquement des modèles politiques et des formes de gouvernement, mais également des normes de genre sur les plans physiques et vestimentaires, des systèmes de légitimation des représentant·e·s…
3. Retour d’expérience sur le déroulé du cours
L’activité s’est essentiellement déroulée sous forme de discussion avec les élèves. Après chaque photographie ou vidéo, les élèves sont invité·e·s à partager leur ressenti, puis quelques questions peuvent leur être posées pour les aiguiller vers le caractère patriarcal des représentations étudiées, ou pour les amener à approfondir leur réflexion.
L’activité a globalement bien fonctionné car les élèves étaient content·e·s d’expérimenter des formes de cours peu habituelles et de tisser des liens entre le passé et le présent.
La comparaison entre l’Auguste de Prima Porta et celui de la série Rome a bien été comprise par les élèves. Iels ont tout de suite remarqué qu’Auguste était bien plus jeune dans la série. Iels semblaient cependant relativement réservé·e·s pour dire les mots relatifs à la virilisation du corps de l’empereur : il a fallu les aiguiller pour qu’ils parlent de taille et de musculature. Il s’agit pourtant de choses qu’iels avaient remarqué. La plupart d’entre elleux comprennent la notion de virilité mais ne pensent pas d’elleux-mêmes à l’utiliser dans ce contexte.
La compréhension de la virilisation à l’œuvre dans les portraits royaux a été plus difficile, du fait du décalage entre les normes de masculinité de l’époque moderne et d’aujourd’hui. En effet, les élèves se sont beaucoup amusé·e·s du fait que les rois portaient des collants, des tissus fins et des costumes s’apparentant à des robes. Certain·e·s ont même exprimé leur dégoût face à leur « mocheté ». Il est alors compliqué d’expliquer qu’à l’époque, ces portraits étaient vus comme des archétypes de virilité. Pour pallier à cela, il est possible d’insister sur d’autres éléments qui mettent en œuvre une représentation exagérée des corps masculins : position centrale dans le tableau et mise en valeur par les jeux de lumière, exagération de la carrure des personnages, attributs guerriers qui rappellent l’épée d’Auguste, taille immense des tableaux à une époque où il est rare de pouvoir commander des portraits…
Enfin, les photographies de Nicolas Sarkozy et de Vladimir Poutine ont également suscité le rire chez beaucoup d’élèves. Il est alors important de bien cadrer la classe pour que cela ne se transforme pas en moquerie, mais qu’ils comprennent pourquoi de telles stratégies de communication politique sont utilisées. On peut alors détailler dans quel contexte ces photographies ont été prises, et montrer qu’il s’agit de stratégies particulièrement visibles mais pourtant pas exceptionnelles.
Par manque de temps, la discussion avec les élèves a été relativement limitée. Iels ont plus été récepteurices qu’acteurices de l’activité, et il a donc été difficile de s’assurer de leur compréhension des enjeux soulevés. Les supports présentés dans cette ressource pédagogique gagneraient donc à être utilisés pour approfondir des séquences de réflexion plus longues, par exemple dans le cadre de l’Education Morale et Civique ou, pourquoi pas, en présentant l’idée à des élèves de terminale pour leurs sujets de Grand Oral en HGGSP ou en SES.
Pour proposer un article, une séquence de cours, un témoignage, des sélections de ressources queer accessible aux plus jeunes ou une autre idée formidable, c’est par ici !
Ces textes sont rédigés par des personnes volontaires et qui souhaitent s’engager dans une posture pédagogique éthique et inclusive. Nous sommes en apprentissage. Si vous trouvez ces contenus incomplets ou maladroits ou que les stratégies proposées vous semblent contre productives ou problématiques, n’hésitez pas à nous en faire part par mail ! Nous serons heureux·se·s d’améliorer ces contenus.
Je fais un travail très semblable lors de séquences sur le totalitarisme en histoire ou sur la démocratie en HGGSP Première. En revanche, je n’avais pas encore songé à avoir cette démarche transversale de l’Antiquité à l’époque contemporaine en Histoire/EMC. C’est vraiment très pertinent et je vais tester dès cette année. Merci pour cette ressource.