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Ressources pour une éducation queer et inclusive

La Servante écarlate de Margaret Atwood : une dystopie pour réfléchir aux normes hétérosexistes

1.    Cadre du cours

Il s’agit d’un cours de littérature basé sur la lecture cursive de La Servante écarlate.
Matière : Français
Niveau : 1ère générale
Thème du programme concerné : prolongement du chapitre « Littérature d’idées : Imagination et pensée au XVIIème siècle »
Durée : environ 1h30

2.    Présentation du contenu du cours

a) Situation du cours dans la séquence

Cette lecture permet d’approfondir, par le biais de la littérature contemporaine, les enjeux idéologiques, esthétiques, narratifs évoqués dans la séquence consacrée à l’étude des Fables de La Fontaine. Le groupement de textes donné avait été déjà l’occasion d’introduire certaines notions qui seraient mobilisées dans le cours dédié à l’ouvrage de Margaret Atwood (ex : les débats philosophiques autour de l’imagination et de la pensée menés par Pascal, Bossuet, Malebranche…, l’utopie à travers l’analyse linéaire d’un extrait de L’Autre-Monde de Cyrano de Bergerac etc.)

b) Articulation des étapes du cours

Avant d’amorcer la reprise de la lecture cursive en classe, les élèves doivent se plonger dans la lecture en autonomie de l’ouvrage de M. Atwood. Un mois leur est laissé pour qu’iels puissent lire le livre, après que ce dernier soit succinctement présenté à l’oral, de manière très brève pour susciter l’envie de découvrir l’univers dystopique inventé par l’autrice. Cela peut se faire au moyen de la lecture de l’incipit.

Après leur lecture, les élèves doivent rendre un travail réalisé chez soi qui s’articule autour de quatre grandes questions. Le format attendu est au choix des élèves, certains ont rendu une copie classique mais d’autres ont opté pour un diaporama ou un site internet. Les réponses devaient être argumentées au moyen d’exemples précis tirés du livre. Les questions posées sont les suivantes :

  1. Quels sont les points communs entre la société décrite par M. Atwood et celle dans laquelle vous vivez ?
  2. Quelle morale peut-on retirer de l’ouvrage ?
  3. Établissez les points communs et les différences entre l’œuvre littéraire et la série.
  4. Si vous deviez défendre un sujet de société qui vous tient à cœur, lequel choisiriez-vous ? Comment vous y prendriez-vous afin de défendre celui-ci (supports, public visé…) ?

La dernière étape consiste en la reprise du travail rendu afin d’approfondir les réponses esquissées par certain.e.s dans leur devoir. Ce moment a été l’occasion de proposer un débat au sein de la classe à partir de ressources diverses ayant trait aux thématiques abordées, notamment à partir de la diffusion d’une vidéo intitulée « Be a lady they said » laquelle expose nombre d’injonctions paradoxales adressées par la société aux femmes.

c) Objectifs du cours

Le cours poursuit plusieurs objectifs qui doivent progressivement permettre aux élèves de prendre conscience, à partir d’un matériau littéraire, des inégalités que les individus rencontrent au sein de la société dans laquelle ils vivent. L’enjeu est aussi de réussir à interpréter le texte dans une perspective contemporaine en mettant en lumière les points communs entre notre société et celle dystopique imaginée par M. Atwood.

Chaque question fait l’objet d’une reprise à l’oral à partir d’un diaporama communiqué en amont à la classe. Cette reprise commence par une invitation faite aux élèves à reprendre leurs réponses puis d’approfondir celles-ci au moyen des notions présentées, en tâchant de prendre toujours en compte leur avis et en leur demandant de le formuler constamment de manière argumentée et précise (ex : Avez-vous déjà eu conscience de ces injonctions paradoxales adressées aux femmes ? De quelle manière ?). Le document écrit proposé à la fin de la séance présente pour chaque question des pistes à explorer pour aller plus loin dans la réflexion ; ces pistes pouvant être aussi bien des articles scientifiques, que des œuvres artistiques ou des références précises à l’actualité.

On peut donc résumer les objectifs du cours selon ces trois axes :

– Développer des connaissances particulières
Ce cours est l’occasion d’aborder plusieurs notions fondamentales afin de comprendre comment la société se fonde sur un système normatif. Il s’agit des notions de patriarcat, d’hétéropatriarcat, d’hétéronormativité, d’objectification/objectivation des personnes, de féminisme et de théorie des féminismes, de classes sociales, de rapport social, de privilège social…

– Entamer un travail réflexif
Constatant que les élèves manquent de rigueur dans leur réponse, je tente de les amener à approfondir davantage les pistes qu’iels exploraient. C’est notamment le cas lors de la présentation de la notion d’objectification où je leur demande s’iels sont capables de me dire en quoi le personnage de Defred subit ce phénomène qui conduit à l’aliénation de sa propre personne.

– Débattre en argumentant
Être capable d’exposer de manière rigoureuse et logique un point de vue personnel, développer le goût de la nuance et de l’exigence.

3.    Retour d’expérience sur le déroulé du cours

Le cours a été très bien reçu par les élèves et en particulier par les filles de la classe qui ont relevé combien il était nécessaire. Certaines n’ont pas hésité à faire part de leurs remarques dans la discussion en mettant en avant l’intérêt particulier qu’elles avaient pour le sujet traité. D’autres ont signalé que certains garçons de la classe devaient particulièrement prêter attention à ce qui était dit.

Cela a été l’occasion pour moi de demander s’iels connaissaient dans la classe des tensions autour de ces questions-là. Très rapidement, plusieurs élèves me font part de la misogynie qu’iels rencontrent au quotidien avant qu’un de leurs camarades ne publie une vidéo d’un youtubeur qui critique le féminisme de manière sexiste . Je connaissais la misogynie notoire du vidéaste et n’ai pas attendu de consulter la vidéo pour sanctionner fermement les propos qui pouvaient être potentiellement tenus dans celle-ci. Un débat s’est alors engagé ; plusieurs élèves ont fermement condamné le partage de ce lien avant que l’élève qui était responsable de ce partage ne dise qu’en tant que professeur je me devais d’être neutre et que je ne devais pas abonder dans un sens plutôt que dans un autre. Après lui avoir rapidement rappelé que le cours de français de cette année avait été l’occasion de réfléchir au savoir subjectif et situé, j’ai également avancé l’argument législatif qui affirme qu’il n’y a nullement à se poser la question de la neutralité quand il s’agit de lutte contre les discriminations. Afin que le débat ne s’envenime pas outre mesure et que l’élève ne se sente pas visé par des attaques ad hominem, je lui ai proposé de regarder la vidéo et de faire un retour constructif sur celle-ci. Le cours suivant a donc été l’occasion de revenir sur certains contre-arguments à objecter à Valek qui use d’une rhétorique sournoise et pernicieuse, faite de multiples paralogismes. J’en ai également profité pour lire des extraits du livre d’Aurélia Blanc qui évoque la masculinité toxique et ses conséquences néfastes pour la société.
Par ailleurs, le travail demandé à la maison a suscité, de son côté, un grand intérêt, notamment la dernière question. Des sujets de société très divers ont été traités : violences conjugales, précarité menstruelle, éducation genrée, accès aux transports pour les personnes en situation de handicap, précarité des soignant.e.s… Les élèves ont apprécié les retours complets que je leur ai adressés. Je glissais souvent dans mes corrections des pistes afin qu’iels approfondissent leur réflexion : un compte Instagram, un article scientifique etc. Néanmoins ce genre de retour s’avère particulièrement chronophage.
Enfin, dans leur fiche-bilan de fin d’année, nombre d’élèves m’ont dit avoir particulièrement apprécié ce cours en mettant en lumière que ces questions-là étaient rarement abordées à l’école.

Cette expérience permet d’esquisser plusieurs propositions pour améliorer le cours :

L’œuvre aurait pu être mieux introduite. Étant particulièrement longue et très descriptive, beaucoup d’élèves ont eu du mal à aller jusqu’au bout. Il faudrait penser à un délai de lecture conséquent ou les familiariser avec la structure narrative complexe, faite de multiples analepses.

Des réflexions plus littéraires auraient pu être étudiées. Le risque d’un tel cours est que l’œuvre ne devienne plus qu’un prétexte pour présenter le bagage notionnel susmentionné. Néanmoins, nous avons essayé d’analyser certains extraits sous la forme de petites analyses linéaires afin de comprendre comment la conscience de Defred était retranscrite par le biais de stratégies discursives particulières. On aurait pu développer une réflexion autour du point de vue en liant la notion de « male gaze » à celle littéraire de focalisation, évoquer l’éthos construit par la narratrice.

Proposer un document avec des petits encadrés « Pour aller plus loin », c’est aussi courir le risque que ceux-ci restent lettre morte. Peut-être y aurait-il lieu d’aborder succinctement une ou deux ressources en classe (ex : « Quelle est la spécificité d’un article scientifique ? »).

Parler des inégalités entre les hommes et les femmes est délicat puisque cela peut conduire à une forme d’essentialisation des individus. Un petit encart sur le genre aurait pu être introduit dans le document de reprise. Cette notion a néanmoins été abordée à l’oral pour des élèves qui avaient du mal à comprendre la différence entre « travesti », « personne transgenre », « drag queen ».

Évoquer la notion de « privilège social » avec les élèves n’est pas chose aisée et il faut se montrer diplomate afin qu’iels n’éprouvent pas un sentiment de malaise ou d’incompréhension totale à l’égard de ce concept parfois difficile à comprendre et à expliquer.

Document écrit par Timothée et remis en forme par Mathi.

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