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Ressources pour une éducation queer et inclusive

Prise de parole de Queer Education à l’occasion de la conférence inter-associative “LGBTQIA+ en milieu scolaire” le 17 Mai 2023 (journée de lutte contre les LGBTphobies)

“Nous n’avons pas attendu votre aval pour agir et lutter.”

L’association : Queer Éducation a été créée en 2019, elle rassemble des personnels éducatifs au sens large (CPE, profs, AED, infirmier·es, étudiant·es…) travaillant de la maternelle à l’université. L’association est née du désir de réaffirmer l’éducation comme le moyen le plus à même de lutter efficacement et durablement contre toutes les discriminations et contre toutes les dominations. 

Le contexte : Ce texte est la transcription de la prise de parole de Queer Education à l’occasion de la conférence inter-associative pour élaborer des revendications pour un vrai plan d’action contre les LGBTIphobies en milieu scolaire qui s’est tenu le 17 Mai 2023 au Rosa Bonheur Est. Il est adressé aux ministères de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur, nos employeurs.

Nous voulons commencer par rappeler une évidence qui, cruellement, ne semble pas l’être pour tout le monde. Le suicide de Lucas ne relève pas du fait divers. C’est un drame programmé. 

Ne devant rien au hasard, il est la conséquence de choix politiques et éducatifs délibérés. Il nous revient de sortir ce drame de son événementialité, c’est-à-dire comprendre qu’il est la traduction d’un ensemble de normes mortifères qui sévissent à l’école que nous devons combattre. Lucas, Fouad, Dina… autant de noms dont le souvenir nous rappelle combien l’école est corsetée de ces normes, cis-hétérosexistes, validistes, racistes, et tant d’autres qu’il s’agit de reconnaître et d’abattre. 

Des normes qui, au sein de l’école, excluent, marginalisent, parfois tuent. Lutter contre le harcèlement dont nous avons toutes et tous souffert – et dont certain·es d’entre nous sommes mort·es, sans reconnaître que ces normes en sont les causes, c’est se désarmer avant même la ligne de départ. Faut-il rire ou pleurer que sur la page du pHARe1, il ne soit fait aucune mention du terme “discrimination” ?

Ce drame programmé n’est donc pas que la simple conséquence d’une mauvaise gestion de la vie scolaire en établissement mais questionne aussi la manière dont les savoirs scolaires et leur transmission produisent des normes nocives pour toutes et tous.  

 À quelle existence condamne-t-on l’homosexualité masculine lorsque le mot “pédé” résonne encore dans les cours d’école mais aussi dans nombre de salles des profs? À quelle existence condamne-t-on les élèves trans’ lorsque leur liberté est encore soumise à une autorité parentale dont vous refusez trop souvent de voir le caractère abusif et maltraitant ? 

 Et comme être queer, c’est éreintant, nous ne vous écouterons plus présenter des plans de communication vendus comme des plans politiques. Nous n’irons plus à la messe écouter vos vœux pieux, ni vous regarder communier la bouche en cœur à l’autel de l’égalité que vous avez transformée en veau d’or. 

Ce 17 mai ne doit plus être celui de vos génuflexions et de vos repentances, mais celui de nos urgences et de nos revendications car nous ne croyons plus à votre grammaire politique, syntaxiquement confuse. La bonne volonté dont vous avez voulu convaincre tout un chacun n’a jamais existé. De la rédaction du vademecum2 qui s’est soldée par un fiasco, aux ministres qui participent le matin à la manif pour tous pour s’enorgueillir le soir de leur politique en matière de lutte contre l’homophobie en passant par la transphobie notoire3 des dircabs (directeurs.rices de cabinets) de l’Education Nationale, nous ne sommes plus dupes de rien. C’est sans parler du fait qu’il aura fallu près d’un an avant que le gouvernement daigne s’emparer des révélations de Brut, Mediapart et l’Express sur les pratiques du collège Stanislas dont l’homophobie du personnel va jusqu’à “ mener une croisade contre les pantalons remontés aux chevilles des élèves, cette mode « de tapette »”4. Car, bien sûr, ce respect de la laïcité auquel vous nous exhortez ne semblent convocables que lorsqu’il s’agit d’incriminer nos élèves musulman·es dans la lutte contre les LGBTphobies et ne peut à vos yeux, concerner le ô combien respectable lycée catholique Stanislas que vous financez par ailleurs. Preuve s’il en est de vos compromissions. 

Depuis 2019, le gouvernement s’est fait la promesse que tous les établissements sur son territoire bénéficieraient de personnels investis qui prendraient en charge le rôle de référent·e égalité. L’idée ne semble pas mauvaise, un brin messianique, ce qui nous gêne aux entournures : s’appuyer sur un essaim de personnes volontaires – pas toujours qualifiées –  qui seront loin de prêcher aux convaincu·es. On comprend bien vite que cette promesse n’est qu’une des nombreuses bonnes intentions qui pavent le chemin menant en enfer. 

 A chaque tournant, les référent·es égalité sont empêché·es matériellement. Les textes officiels ont ainsi ingénieusement contourné la question de la rémunération ; les conséquences en sont d’autant plus cruelles. A travail équivalent, des référent·es égalité ne seront pas payé·es équitablement, voire parfois pas payé·es du tout. Comment est-il possible de mettre en place une lutte efficace si le travail entrepris n’est pas reconnu financièrement? Nombreux·ses sont celleux à avoir fait remonter à leur hiérarchie l’aporie de la situation. Nous nous retrouvons à décupler notre charge de travail si nous désirons mener des projets d’établissement un tant soit peu consistants, puisque nous avons le tort – ou peut-être est-ce de l’expérience – de croire que des affiches réalisées à la hâte sont insuffisamment efficaces à l’aune des discriminations qui nous concernent. Des lettres mensuelles nous parviennent dans nos boîtes mail académiques qui s’enorgueillissent des projets menés çà et là, mais nous n’avons que faire de ces relais en interne s’ils ne s’accompagnent d’aucune indemnisation financière pour les actions entreprises. Ne pas payer correctement les référent·es égalité revient ainsi à dévaluer le travail réalisé, à considérer qu’il n’a pas spécialement raison d’être valorisé ni d’être fait, à la manière de ces dircab des recteurs qui ne savent pas toujours à quelle hauteur nous sommes rémunéré·es. La bonne conscience professionnelle n’est pas la carotte après laquelle nous devrions courir. Vous feignez d’être étonné·es que le rôle de référent·es égalité suscite peu de vocation, tout en choisissant de ne pas le reconnaître financièrement. Non content de l’empêcher financièrement, vous l’empêchez aussi idéologiquement, entretenant sciemment un prétendu devoir de neutralité qui n’a pas lieu d’être en matière de lutte contre les discriminations.

Le gouvernement a donc réussi à transformer son projet pédagogique en un vecteur de cynisme effarant et une machine à exploitation sans vergogne. Un projet qui devient donc une contradiction dans les termes, car il exige des personnels luttant pour l’égalité de travailler dans des situations inégalitaires. 

Un projet qui alloue la charge de transformation sociale aux premier·es concerné·es : les meufs, les pédés, les trans’, les gouines, pour certain·es racisé·es à faire les frais d’un monde de domination.

Un projet qui, sur la page du ministère, affirme fièrement vouloir défaire les « schémas professionnels fortement stéréotypés », tout en œuvrant dans le même temps à empêcher par ces mêmes stéréotypes nos trajectoires professionnelles. En somme, un projet qui n’est rien d’autre qu’une couverture lestée faite pour nous endormir et qui finit par nous étouffer. 

C’est donc cinq revendications que nous portons aujourd’hui pour sortir de cette torpeur meurtrière. 

  • Donner aux référent·es égalité les moyens de leur travail, c’est-à-dire : 1. une décharge pour qu’elles et ils puissent exercer leur travail dignement 2. une rémunération juste de toustes pour que ce travail soit reconnu (l’attribution d’une IMP pour le suivi de la mission “égalité” doit être le strict minimum non soumise à la signature du pacte5), 3. arrêt de la mise en concurrence des établissements dans des logiques de “labellisation égalité”, 4. inscrire explicitement l’antiracisme dans les missions du dispositif égalité (ne pas le circonscrire à l’égalité filles-garçons et à la lutte contre les LGBTphobies)
  • Transformer la culture normative à l’œuvre à l’école :  modifier les représentations, reconnaître l’apport des “savoirs situés” face à l’hégémonie d’un “universalisme républicain” construit comme universaliste (toujours en faveur des personnes blanches, hétérosexuelles…). Nous n’avons pas tant besoin de dispositifs que de transformer nos pratiques pédagogiques (étendre la lutte contre les LGBTphobies au-delà des programmes d’éducation morale et civique, et d’éducation à la vie affective et sexuelle)
  • Corréler la lutte contre les discriminations à la lutte contre le harcèlement dont on ne prétend jamais percevoir les véritables origines, autrement dit inscrire explicitement dans le dispositif pHARe les rapports de domination comme cause à combattre du harcèlement
  • Engager une veille  sur les interventions en milieu scolaire (identification des intervenant·es, information du maillage territorial couvert par celles-ci, suivi du financement des associations en ayant la charge) et revalorisation du travail produit par les associations participantes (déprécariser les bénévoles, les militant·es, déprivatiser les missions) 
  • Mettre en oeuvre des politiques commémoratives et une reconnaissance des responsabilités étatiques à l’égard de chaque élève discriminé·e s’étant suicidé·e

Toutes ces revendications s’inscrivant de le contexte plus large des luttes contre le pacte de Pap Ndiaye, la casse du lycée pro et à sa privatisation, la réforme des retraites

Enfin, nous n’avons pas attendu votre aval pour agir et lutter, vous qui vous gaussez d’être à la pointe en matière d’égalité, vous avez le pas lent et mal assuré. Nous marcherons, nous, franchement et sans ambages. 

1 . Le programme pHARe est un plan de prévention du harcèlement à destination des écoles et des collèges. Lien URL : pHARe : un programme de lutte contre le harcèlement à l’école | Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse

2. L’actuelle circulaire “Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire” (29 Septembre 2021) est issue d’un vademecum qui a été co-rédigé par plusieurs associations et collectif, dont Queer Education au Printemps 2021 et qui a largement été vidé de sa substance pour devenir la circulaire incomplète qu’on connaît aujourd’hui. Pour en savoir plus, vous pouvez lire cet article Médiapart : “Élèves trans : la circulaire dont Blanquer ne voulait pas”. Mediapart. 2 Novembre 2O21. Élèves trans : la circulaire dont Blanquer ne voulait pas | Mediapart

3. Idem

4.  “Homophobie et sexisme au lycée Stanislas : le ministre de l’éducation lance une enquête administrative”. Mediapart. 9 Mai 2023. Homophobie et sexisme au lycée Stanislas : le ministre de l’éducation lance une enquête administrative | Mediapart

5.  Le “pacte enseignant” sera mis en œuvre à partir de la rentrée 2023, il fait partie des mesures de “revalorisation du métier d’enseignant”. Depuis sa parution au B.O (Bulletin Officiel) du 18 Mai 2023, il a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des principaux syndicats de l’éducation pour sa vision managériale du métier et sa contribution à la casse du service public d’éducation.

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