Georges Jablonski-Sideris, « Pour une approche Queer de l’enseignement historique dans l’éducation aux genres, sexualités et dans l’éducation à la santé »
Référence bibliographique :
Jablonski-Sideris Georges (2018), « Pour une approche Queer de l’enseignement historique dans l’éducation aux genres, sexualités et dans l’éducation à la santé », Recherches & éducations [En ligne], n°19, consulté le 30 avril 2021. Lien vers l’article en ligne
Type : Article scientifique.
Courte présentation de l’auteur·ice :
Georges Jablonski-Sideris est maître de conférence en histoire médiévale à l’Université de la Sorbonne. Ses travaux de recherche portent sur le monde byzantin ainsi que sur les genres, la santé et les sexualités à cette époque.
Résumé :
Dans cet article, Jablonski-Sideris plaide pour une approche historique queer dans l’enseignement primaire et secondaire en France. L’auteur montre en quoi le fait de placer l’histoire de la fluidité des sexes, des genres et des sexualités au centre de l’éducation à la santé et aux sexualités est un enjeu essentiel pour sortir d’une binarité de l’ordre social « posée comme une naturalité essentialiste universelle », mettre fin aux violences de genre et encapaciter les élèves LGBTIQ, c’est-à-dire leur permettre de gagner en pouvoir par des processus d’apprentissage individuels et/ou collectifs. En cela, il se place dans l’héritage des travaux du sociologue de l’éducation, écrivain et militant des luttes contre le sida et LGBTIQ Eric Rofes, qui proposait de remettre en question le Status Quo normatif de l’éducation à la santé dans le domaine des sexualités dans le système scolaire américain, en le remplaçant par un Status Queer. Cette perspective méthodologique queer permet de réinscrire “la question complexe de l’élaboration des identités de genre et des sexualités au sein des fluidités des histoires et subjectivités individuelles et de leurs différentes stratégies sociales”.
À partir d’une approche historique queer, dont il dresse une synthèse des principaux écrits américains et français, Jablonski-Sideris propose de s’émanciper d’une vision occidentalo-centrée des rôles socio-culturels en prenant l’exemple de la société byzantine (Byzance est un empire de 11 siècles, qui s’étend de 330 à 1204 !) . L’organisation de celle-ci en « trisexuation » (hommes, femmes, eunuques) favorise la fluidité et la « diversité de genres, de perceptions et d’attitudes vis-à-vis des sexes et sexualités ». La trisexuation est la norme sur laquelle repose le pouvoir impérial byzantin. Jablonski-Sideris développe en particulier la place et la perception de l’eunuque (dans l’empire Byzantin, il s’agit d’un homme castré) comme un corps au sein du pouvoir et de la société et de l’eunucité comme une construction culturelle identitaire de genre.
L’eunuque est conceptualisé physiologiquement comme un « troisième sexe (génos) neutre » : il est perçu comme impuissant, dénué de désir et désintéressé par la sexualité. De plus, sa représentation physique oscille entre l’enfant et la femme : voix enfantine, fragilité corporelle, chevelure féminine, corps et visage glabres, etc. L’eunuque est donc reconnaissable dans la rue et contribue, par sa différenciation physique, à construire l’identité masculine des byzantins. Cette conception lui confère une place particulière à la cour puisqu’il est chargé du service et de la garde de l’impératrice et de la famille impériale. Le fait qu’il soit castré ne lui permet pas de prétendre au pouvoir impérial, ce qui lui octroie la confiance de l’empereur : en plus de la vie domestique, il contrôle plusieurs domaines de l’organisation étatique (finances, gestion des terres, expéditions militaires, etc). Les eunuques constituent à la cour un ordre spécifique qui les distingue de l’ordre des hommes et de celui des femmes. De plus, Jablonski-Sideris explique que les eunuques impériaux sont perçus comme le pendant des anges sur terre, ce qui mène à deux visions contradictoires : celle de l’eunuque pur, généreux, être de lumière et celle de l’eunuque lubrique, égoïste, vaniteux, cupide, immoral et dont la nature ambivalente lui permettrait de se lier sexuellement avec les deux autres sexes.
Par ailleurs, l’auteur montre en quoi la société byzantine est caractérisée par une fluidité entre les catégories et les identités de genre, ainsi que par une diversité de perceptions de situations de genre : des femmes pouvaient également être de genre eunuque et perçues comme tel, notamment des femmes menant une vie d’ascète.
Jablonski-Sideris conclut ainsi : « Byzance nous apporte une expérience très précieuse puisqu’elle se donne littéralement à voir sur ses mosaïques et peintures de manuscrits, celle d’une société qui a vécu, s’est organisée, pensée, perçue et représentée de façon non-binaire dans le domaine des sexes, genres et sexualités. Ce faisant l’étude de Byzance offre l’intérêt d’introduire de la fluidité dans nos conceptions occidentales corsetées dans une approche historique binariste. L’histoire Queer, dont la méthode ouvre les catégories identitaires de sexe et les sexualités, offre un outil particulièrement efficient pour aborder et saisir la société byzantine ».
Intérêt pédagogique :
L’article de G. Jablonski-Sideris éclaire l’intérêt de donner à voir l’histoire de sociétés non-binaires dans les programmes scolaires destinés à des élèves de primaire et du secondaire. Il offre la possibilité de rendre visibles des identités de genre, des sexualités et des conceptions non-binaires de l’organisation d’une société dans une perspective historique queer, dont un des objectifs est l’encapacitation des élèves LGBTIQ. Cette perspective historique queer s’inscrit dans les épistémologies des première et deuxième vagues queer, qui permettent d’éclairer les fluidités de genre. Jablonski-Sideris explique que “la première vague du queer des années quatre-vingt-dix avec notamment les travaux de Teresa de Lauretis, Eve Kosofsky Sedgwick ou Judith Butler aux Etats-Unis distinguait sexe biologique et genre comme construction sociale mais remettait en question la binarité et la stabilité des genres”. Dans la continuité de cette remise en question de la binarité, la deuxième vague queer, avec les travaux de Gilbert Herdt, Anne Fausto-Sterling, Christine Delphy, Nicole-Claude Mathieu, Sam Bourcier, Paul B. Preciado et bien d’autres, “ouvre le spectre des sexes, genres et sexualités” en montrant que le sexe dit “biologique” est une catégorie culturellement construite et non binaire.
Rédacteur·ice : Cécile
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