La binarité des sexes n’existe pas. Pour une prise en compte des personnes intersexes dans nos milieux scolaires.
Cette fiche propose un résumé d’articles du site SVT égalité, pour s’éduquer sur les questions d’intersexuation et accompagner les éducateurices à mettre en place des espaces sécurisants et bienveillants pour leurs élèves intersexes. Elle s’adresse à l’ensemble des personnels de l’éducation, de la petite enfance jusqu’à la fin du secondaire.
De quoi parle t-on ?
L’intersexuation est un terme « parapluie » qui désigne l’ensemble des situations où un corps manifeste des variations naturelles anatomiques, hormonales, génétiques ou chromosomiques qui sortent des normes établies arbitrairement pour le « mâle » et la « femelle ».
En réalité, l’intersexuation est une situation sociale créée par la réduction de la diversité des corps à deux catégories rigides et étanches dans lesquelles on devrait classer l’ensemble de l’espèce humaine. Dans un sens, comme le terme « racisation » désigne les processus de construction sociale de la race, le terme « intersexuation » désigne des positions issues des processus de construction binaire des sexes. Ces situations sont « révélées » par le corps médical généralement à la naissance, lors de l’enfance où à l’adolescence, ce qui donne lieu à des séries de violences visant à faire rentrer le corps biologique et social de la personne concernée dans le moule qui lui est assigné à la naissance en fonction de ses organes génitaux externes. En France, on estime actuellement qu’environ 2% de la population française est intersexe : la majorité des établissements scolaires accueillent donc des élèves concerné·es chaque année.
Cette fiche vise à combattre les discriminations sociales et institutionnelles des personnes intersexes, qui restent ancrées dans une méconnaissance totale de l’intersexuation (souvent confondue avec la transidentité) et sur une invisibilisation de leurs vécus. En tant qu’éducateurices, il est important de pouvoir accompagner et protéger l’ensemble de nos élèves, et cela inclut évidemment les élèves intersexes. Pour cela, on peut se poser différents objectifs, et questionner régulièrement nos pratiques pour s’assurer qu’on y répond au maximum de nos capacités.
Attention, avant toute chose, il est important de ne jamais partir du principe que l’on peut « identifier » soi-même des élèves intersexes sur la base de caractéristiques physiques. C’est auprès de toustes que la lutte contre l’intersexophobie doit être menée, en aucun cas il ne s’agit d’actions purement ciblées.
Objectif 1 : Visibiliser.
Les violences envers les personnes intersexes passent inaperçues et sont légitimées pour beaucoup car le caractère arbitraire, normatif et contre-nature de la bicatégorisation des sexes n’est jamais interrogé, et que les existences intersexes sont activement invisibilisées dans les programmes, les récits et les représentations utilisées au quotidien dans nos milieux scolaires.
Parler des personnes intersexes, critiquer les conceptions normatives du sexe et du genre, c’est permettre aux violences qui se jouent d’habitude dans l’ombre d’être visibles et identifiables par toustes. C’est aussi renforcer le sentiment de légitimité des personnes concernées envers leur propre vécu, en proposant des termes qu’iels peuvent poser sur leurs expériences si iels le souhaitent.
Il ne s’agit pas de penser « une fois de temps en temps » à une minorité qu’il faudrait intégrer au modèle majoritaire, mais bien de repenser nos manières quotidiennes de construire et décrire les corps humains. C’est donc un travail de questionnement quotidien, de soi et des discours que l’on entend autour de soi.
Objectif 2 : Protéger.
Les violences vécues par les personnes intersexes sont multiples. Sur le plan médical, iels sont confronté·es dès le plus jeune âge à des interventions intrusives (chirurgicales, médicamenteuses, hormonales) avec des conséquences lourdes sur la santé des personnes sur le long terme. Souvent considéré·es comme des « bêtes curieuses » (freaks) par le corps médical, les enfants intersexes font face à l’impunité du corps médical, dont les actions restent généralement secrètes (même à l’âge adulte iels n’ont généralement pas accès à l’intégralité de leur dossier médical). Dans les familles, les décisions sont prises pour l’enfant, et non par ou avec l’enfant et ce sont souvent les lieux de violences verbales, psychologiques, mais aussi physiques et sexuelles sur les enfants intersexes. Ces violences sont facilitées par les intrusions physiques régulières, « justifiées » par les adultes (« c’est pour ton bien »). Elles créent un sentiment d’aliénation à son propre corps, faussent les conceptions du consentement, renforcent la conviction d’illégitimité à poser les limites de son intégrité. Avec leurs pairs, et notamment à l’école, les personnes intersexes font face à des formes de harcèlement, en particulier lors de l’adolescence où les performances de genre ont une importance exceptionnelle.
En tant que personnel éducatif, il convient d’exercer une vigilance accrue dans tous les lieux genrés (toilettes, vestiaires, internat…) et de prêter attention à des absences nombreuses liées à des motifs médicaux (sans remettre en question l’élève ni mener une enquête intrusive dans sa vie privée). Une fois des situations de violence ou de harcèlement détectées, il convient de ne pas les ignorer et de les traiter collectivement avec le reste de l’équipe pédagogique (en s’assurant qu’un suivi « safe » soit possible). Il est souvent facile de glisser dans des postures de sauveur où l’on souhaite résoudre individuellement les problèmes de l’élève et il s’agit là d’une posture toxique, qui perpétue le positionnement de l’élève en victime plutôt que de lui garantir protection et autonomie. C’est également de cette manière que l’on expose encore une fois l’élève à des adultes agissant pour ellui, sans nécessairement obtenir son consentement sur les actions menées.
Les discours sur les personnes intersexes restent majoritairement pathologisants. L’intersexuation est décrite comme une anomalie à corriger ou une phase « transitoire » en vue d’une réintégration à la norme binaire des sexes (un discours qui rappelle étrangement celui qu’on peut entendre pour les sexualités ou les genres queer). Il convient de s’opposer à tout discours qui crée et stigmatise les personnes intersexes, et de s’assurer que nos espaces éducatifs aient des règles claires et explicites encadrant toute forme de harcèlement discriminatoire naissant de ces discours sur le sexe et le genre.
Ce que l’on appelle la « vie de classe » n’est pas l’affaire d’une heure occasionnelle encadrée par un·e professeur·e référent·e, mais un travail de veille constante dans lequel chacun·e a une part de responsabilité.
Objectif 3 : Accompagner.
La première forme d’accompagnement pour les élèves intersexes est l’établissement d’un espace d’écoute où iels peuvent verbaliser en toute sécurité leurs vécus. Pour permettre cette libération de la parole sur des expériences souvent traumatiques, il est essentiel de cultiver un climat de confiance avec l’ensemble des élèves, mais également de prendre position pour se révéler en tant que personne ressource sur les sujets qui touchent au genre, au sexe, à la sexualité et aux violences qui y sont liées. Toustes les élèves ne sont pas nécessairement à l’aise pour s’outer (se révéler auprès de vous) comme intersexe. Pour pallier cela, il est possible de mettre en place des dispositifs pour recueillir leurs paroles anonymement (avec des systèmes d’urnes à accès libre, ou de formulaires en ligne).
Nous l’avons mentionné plus haut, cet accompagnement doit être mené avec toute l’équipe pédagogique, notamment pour accompagner l’élève face aux traumatismes qu’iel peut avoir développé. Il est essentiel de porter une attention à des comportements autodestructeurs émergeant souvent des ces traumatismes (TCA, dépendances, automutilations, tentatives de suicide etc.). Cette violence « envers soi-même » de l’élève sera avant tout traitée (au même titre que des absences répétées ou du harcèlement scolaire) par les psychologues de l’éducation nationale, les assistant·es sociaux·ales, les CPE et les chef.fes d’établissements. Il est indispensable de former en priorité toutes ces personnes à la détection et la lutte contre les violences faites aux personnes intersexes. Dans les établissements du secondaire, ce sont également par les référent·es égalité que peuvent passer l’autoformation et la lutte contre les discriminations envers les personnes intersexes : il s’agit donc de s’assurer que ces personnes-ressources sont également informé·es et prêt·es à agir en cas de besoin.
Enfin, pour accompagner les personnes intersexes, il convient de s’emparer des questions de sexe et de genre de manière critique en toutes matières. Par exemple, en prenant en compte que beaucoup de personnes intersexes sont stériles et souffrent des injonctions systématiques à la reproduction, un outil d’accompagnement serait de sortir des représentations majoritaires de la famille nucléaire/hétérosexuelle et d’éducations à la sexualité centrées sur la pénétration et la procréation. Il s’agit également d’éveiller chez les adultes comme les jeunes la critique de la binarité du genre et des assignations considérées comme « naturelles » à ce niveau : ce faisant, on contribue à la libération de toustes de normes de genre oppressives, mais en particulier à celle des personnes transgenres, dont on note une surreprésentation chez les personnes intersexes…
Les outils d’éducation anti-oppressive sont nombreux et il est fondamental de les partager autant que possible auprès des élèves, des personnels éducatifs et institutionnels, mais aussi auprès des familles lorsqu’un dialogue est possible. L’orientation des parents vers des ressources et des collectifs de personnes concernées militant pour leur émancipation peut servir de lien précieux pour les enfants intersexes. Elle leur donne accès à des « contre-discours » qui accordent une légitimité à l’enfant et son vécu plutôt qu’à un diagnostic social et médical répondant à des normes arbitraires.
Un petit point de vocabulaire
Endosexe : Par opposition à intersexe. Terme forgé par le sociologue intersexe et trans Cary Gabriel Costello afin de pointer la dimension normative et stigmatisante de la désignation « d’intersexes ». De même, on désigne des personnes qui rentrent dans les conceptions normatives d’un sexe comme des personnes dyadiques.
Hermaphrodite : Un terme à bannir de nos usages lorsque l’on parle d’êtres humains, car il suppose qu’une personne aurait les deux types d’organes génitaux, dits masculins et féminins, ce qui ne correspond pas à la réalité mais plutôt à des fantasme voyeuristes (centrés sur les organes sexuels, parfois fétichisants) et stigmatisants à l’égard des personnes intersexes.
Notes
La France a été condamnée en 2016 par deux commissions de l’ONU pour des opérations ou traitements d’enfants intersexes considérés comme des mutilations sexuelles.
Pour trouver davantage de ressources sur l’intersexuation, notamment celles transmises et créées directement par des personnes concernées, allez consulter le site du Collectif Intersexe Activiste.
Vous pouvez également consulter les articles du site SVT Egalité qui ont servi de base à la rédaction de cet article.
Pour proposer un article, une séquence de cours, un témoignage, des sélections de ressources queer accessible aux plus jeunes ou une autre idée formidable, c’est par ici !
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