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Ressources pour une éducation queer et inclusive

Khayatt Didi, « Sex and the Teacher » – Faire son coming-out au travail?

Référence bibliographique :

Version originale :
Khayatt Didi (1997), « Sex and the Teacher : Should We Come Out at Work ? », Harvard Educational Review, Vol. 67, n°1, pp.126-143.

Version française :
Khayatt Didi (1997), « L’identité sexuelle et l’enseignement : devons-nous nous affirmer au travail ? », Sociologie et sociétés, Vol. 29, n°1, pp.83-97.

URL : https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/1997-v29-n1-socsoc80/001387ar/

Type : Article de revue

Courte présentation de l’auteur·ice :

Didi Khayatt enseigne depuis plus de trente ans à l’Université de York. Son travail se concentre sur la sexualité, le féminisme et la justice sociale. Elle est l’autrice en particulier d’un livre sur les professeures lesbiennes (Khayatt D. (1992), Lesbian Teachers : An Invisible Presence, State University of New York Press). L’article en question est traduit par Suzanne Mineau.

Principal·e·s auteur·ices et concepts mobilisé·e·s :

L’autrice fait appel à des réflexions sur les identités sociales, sexuelles en particulier (M. Foucault, D. Fuss, S. Hall) pour étudier les conséquences et les présupposés d’un coming out en milieu scolaire. Son thème principal est la pédagogie.

Résumé :

D. Khayatt est une professeure d’université lesbienne qui enseigne des cours sur la pédagogie féministe. Bien que ses textes, conseillés en lecture à ses élèves, soient écrits d’un point de vue explicitement lesbien, elle n’exprime jamais sa sexualité en classe sous la forme d’une affirmation péremptoire (« je suis lesbienne »), alors même que ses amies lesbiennes soutiennent fréquemment que le coming out en classe est un devoir politique. L’article est écrit à partir de cette tension. Son but est d’explorer les différentes présomptions qui se cachent derrière l’injonction faite aux enseignant·e·s LGBTQIA+ de faire leur coming out devant leurs élèves. « Cet article […] est […] un tour de table des questions liées à la pédagogie et à l’affirmation de l’identité sexuelle, des présomptions au sujet de l’apprentissage ainsi que des façons complexes dont nous essayons, nous qui enseignons, de nous débrouiller en classe » (p. 96). La question est envisagée seulement dans le cadre des études supérieures, où certaines interrogations (notamment celle de l’innocence supposée des enfants que ne devrait troubler aucune discussion touchant au sexe) ne se posent pas. L’injonction à affirmer son identité de genre ou sexuelle en classe suppose avant tout que cette identité soit clairement connue de l’enseignant·e, et qu’elle soit, de plus, stable. Ce premier présupposé est problématique, pour deux raisons : d’abord, parce qu’il existe des porosités et des incertitudes autour des catégories sexuelles, qui peuvent mener les enseignant·e·s à s’interroger légitimement sur celles qu’iels souhaitent revendiquer : « Une femme est-elle une lesbienne si elle a eu des amantes mais s’intéresse aujourd’hui aux hommes ? Une femme est-elle une lesbienne si elle n’a jamais eu de rapports sexuels avec une femme, mais se range dans cette catégorie pour des raisons politiques […] ? » (p. 87). Mais surtout, l’identité ne doit pas être conceptualisée comme un fait stable : « Mon article est précisément axé sur le fait que le concept d’identité est instable et ambivalent » (p. 88). Si l’on conceptualise l’identité non pas comme une donnée immuable mais comme une performance, alors son affirmation, en classe ou ailleurs, « soulève, à travers cette performance, sa propre série de présomptions, notamment celles que l’on retrouve dans le refrain politique actuel et qui veut que cette affirmation soit liée à une pratique politique » (p. 88). Khayatt identifie cinq raisons couramment énoncées pour encourager les enseignant·e·s LGBTQIA+ à faire leur coming out de manière explicite en classe.

Raison n°1 : « Je dois le dire pour encourager et soutenir mes étudiant·e·s… »
Une telle raison suppose qu’un coming out clair sera perçu, en particulier par les élèves LGBTQIA+, comme « un geste de courage, de fierté de son identité, d’honnêteté et d’intégrité » par lequel iels se sentiront soutenu·e·s. Une telle présomption n’est cependant pas évidente et il est possible qu’un coming out soit perçu, par les élèves LGBTQIA+ ou non, comme une menace. Khayatt raconte l’anecdote d’une élève qui s’est enfuie d’un cours donné par un professeur gai par crainte d’être possiblement associée à l’homosexualité du professeur et note que la révélation de l’identité sexuelle, au contraire de celle des identités religieuses ou raciales, « suppose une réciprocité. L’étudiante a-t-elle craint d’être amenée à se découvrir ? A-t-elle eu peur de la contagion (si je suis homosexuel et qu’on te voit avec moi, on pensera la même chose de toi). Ou a-t-elle eu peur simplement parce qu’elle s’est sentie percée à jour ? » (p. 90). On peut penser que cette gêne des élèves est précisément la raison pour laquelle le coming out doit être fait, de manière à les confronter à leur propre homophobie et hétérosexisme. Il faut alors s’interroger aussi sur l’intérêt pédagogique d’une telle déclaration : nuit-elle au contenu du cours ? Impose-t-elle des informations aux élèves ? La question doit toujours se poser dans le cadre de la matière enseignée.

Raison n°2 : « En parlant, je fournis à mes étudiants un modèle de rôle… »
Cette raison suppose que le fait qu’un·e enseignant·e soit out permettra à ses élèves de s’identifier à ellui. Il s’agit d’un présupposé pédagogique particulier : à savoir que la révélation d’une identité entraîne une identification de la part de l’étudiant·e (LGBTQIA+ en l’occurrence). Cette présomption est loin d’être évidente : « les identifications ont le pouvoir étonnant d’être réversibles, de disparaître pour réapparaître des années plus tard et ces caractéristiques rendent les identités profondément instables et ouvertes au changement. Dans ces conditions, comment pouvons-nous savoir avec quelle partie de notre « identité » […] nos étudiants s’identifient ? Est-ce avec la race, la classe sociale, le sexe, la sexualité de la personne qui enseigne ? Est-ce avec sa bonté et sa chaleur ? Est-ce, peut-être, avec son intelligence ou sa pédagogie ? » (p. 92).

Raison n°3 : « En parlant, j’ébranlerai la domination de l’hétérosexualité… »
Cet argument a deux volets. D’une part, celui de la normalisation : la présomption est alors que si de nombreuses personnes LGBTQIA+ appartenant à des professions valorisées socialement (par exemple professeur·e·s d’université) font leur coming out, l’ordre social les acceptera. D’autre part, la simple expression de sa sexualité ébranle l’hétérosexisme, en rappelant que tout le monde n’est pas hétéro. Concernant le premier volet, il suppose que le fait d’être identifiée, par exemple, comme travailleuse consciencieuse et comme lesbienne donnera un lustre à l’identité lesbienne. Khayatt note d’abord que l’on ne peut savoir comment seront associées ces deux caractéristiques : sera-t-on perçue comme bonne enseignante bien que lesbienne ou parce que lesbienne ? Ensuite, les nombreuses identités d’un même individu (race, classe, genre, etc.) rendent la sexualité complexe, de sorte qu’il est difficile de contrôler la manière dont on est perçu·e. Des éléments qui, aux yeux d’une personne, sont des signaux lesbiens (cheveux courts et vêtements masculins) peuvent être interprétés autrement, ou ignorés, par d’autres. « Même les indices les plus « évidents » peuvent demeurer incompris ou inintelligibles pour certains. Dans ce cas, « ne pas savoir » peut être un procédé d’inattention, de non-reconnaissance ou même d’indifférence polie. Les motifs peuvent être dus à la culture, à la simple ignorance ou au désir d’éviter le malaise d’avoir à confronter « l’innommable ». On peut alors se demander ce qu’il y a à gagner en affirmant « l’évidence » » (p. 94).

Raison n°4 : « Si je ne parle pas, j’institutionnalise l’homophobie… »
La valeur d’un coming out par une affirmation péremptoire tiendrait justement à sa clarté et son absence d’ambiguïté : elle témoignerait de la spécificité de l’identité en question. Cependant, une identité peut être interprétée de plusieurs manières : comme une position politique revendiquée de manière collective et dont les enjeux et les stratégies peuvent être rediscutées ensemble, ou encore comme une information privée sur un individu, qui réaffirme « la différence entre « moi » la lesbienne et « eux » qui ne le sont pas » (p. 94). En l’absence de clarification, un simple coming out (« je suis lesbienne ») reste vague et peut être sujet à des interprétations contre-productives. Ensuite, on peut rappeler que seul·e·s les personnes LGBTQIA+ font des coming out, parce que leurs identités ne sont jamais « par défaut ». De ce point de vue, le fait même de faire un coming out peut être considéré comme un acte renforçant l’hétérosexisme.

Raison n°5 : « Les lesbiennes et les gais dans l’enseignement doivent payer de leur personne »
Enfin, on soutient souvent que les gais et lesbiennes qui ont eu accès à la position d’enseignant·e doivent affirmer leur identité en prenant le risque de réactions agressives (de la part des étudiant·e·s ou des collègues). Il faut alors se poser la question de l’intérêt pédagogique de cette prise de risque. Khayatt insiste aussi sur l’aspect rhétorique de cette question : « Comment en sommes-nous venus à faire correspondre danger et évolution possible vers la justice sociale ? » (p. 95).

S’il revient à chaque personne de prendre la décision de faire son coming out en classe ou non, il existe de solides raisons pédagogiques pour lesquelles on peut choisir de ne pas le faire. « Personnellement, lorsque je me suis affirmée comme féministe en classe, j’ai découvert qu’à partir du moment où j’ai fait cette déclaration, les étudiants ont filtré à travers leur connaissance de mes tendances politiques tout mon enseignement et toutes nos analyses de textes. Est-ce que le fait d’affirmer mon identité sexuelle en classe inciterait les étudiants à filtrer ma performance en classe à travers leur compréhension (souvent limitée) de ma sexualité ? En revanche, comme professeure, je préfère ne pas me retrouver dans une catégorie sexuelle » (p. 95).

Intérêt pédagogique :

L’article n’est pas à lire avec les élèves, mais peut servir à la réflexion collective ou individuelle des enseignant·e·s (plutôt du supérieur, même si certains points mentionnés peuvent être étendus au secondaire) en mettant en question des idées souvent reçues sur l’importance d’être out et d’être, en tant qu’enseignant·e queer, un role model pour les étudiant·e·s LGBTQIA+.

Intérêt scientifique :

L’article clarifie les différentes raisons qui motivent l’importance politique accordée au fait d’être un·e enseignant·e out et les met en doute en affinant la notion d’identité. Il présente à la fois les qualités d’une recherche proche du quotidien de l’enseignement, tout en étant solidement articulé à une réflexion théorique.

Pour aller plus loin :

D. Khayatt a coécrit avec L. Iskander un article reprenant les mêmes questions vingt ans plus tard, en incluant cette fois la perspective des enseignant·e·s non-binaires (Khayatt D., Iskander L.(2020), « Reflecting on ‘coming out’ in the class room », Teaching Education, 30, 1, pp. 6-16, derrière un paywall).

Rédacteur·ice : Qamille

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