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Gaël Pasquier, « Des enseignant·e·s face aux insultes homophobes »

CW : La forme d’écriture inclusive adoptée dans ce texte est celle employée par Gaël Pasquier dans son article.

Référence bibliographique :

Pasquier Gaël (2014), « Des enseignant·e·s face aux insultes homophobes », dans Collet Isabelle et Dayer Caroline (dir.), Former envers et contre le genre, Raisons éducatives, n°18, Bruxelles-Genève : De Boeck, pp.195-217.

Type : Cet article paru dans la revue Raisons éducatives s’inscrit dans une recherche plus large dont l’objectif était d’éclairer les pratiques des enseignant·e·s de l’école primaire travaillant avec leurs élèves sur les questions d’égalité des sexes et des sexualités.

Courte présentation de l’auteur·ice :

Gaël Pasquier est sociologue, maître de conférence à l’Université Paris Est Créteil Val de Marne. Ses recherches portent sur les pratiques enseignantes et les politiques éducatives en faveur de l’égalité des sexes et des sexualités à l’école.

Résumé :

Dans cet article, G. Pasquier part du constat que les instructions officielles de l’Éducation Nationale concernant la lutte pour l’égalité des sexes et contre l’homophobie sont peu connues des enseignant·e·s et, de ce fait, sont rarement appliquées. Toutefois, elles constituent un cadre nécessaire à celles et ceux qui souhaitent les mettre en œuvre. À partir des discours d’enseignant·e·s de l’école primaire (maternelle et élémentaire) travaillant avec leurs élèves sur les questions d’égalité des sexes et des sexualités, G. Pasquier éclaire la manière dont elles et ils font face à la profération par des élèves d’injures homophobes.

Son cadre théorique pour penser la question des insultes homophobes à l’école s’inscrit dans des travaux accordant une attention importante au contexte dans lequel est proféré l’injure et, plus particulièrement, aux intentions des locuteurs. Ainsi, ces travaux montrent que certains mots offensants ou discriminants peuvent être vidés de leur sens initial dans certains contextes, ne devenant que de simples éléments de ponctuation, tout comme leur caractère offensant peut être réactivé dans l’interaction. De même, dans certains contextes, l’analyse des relations de solidarité entre les interlocuteurs d’un groupe permet d’éclairer l’intention du locuteur ou de la locutrice du propos injurieux. Toutefois, G. Pasquier suppose que ces relations de solidarité sont peu probables entre des enfants de moins de 12 ans dans un contexte scolaire. C’est donc à partir de ces travaux que l’auteur questionne la réception par les enseignant·e·s des propos injurieux au sein de l’école primaire, en se penchant sur le travail éducatif mis en œuvre autour de cette problématique.

G. Pasquier a mené 20 entretiens non directifs avec un échantillon d’enseignant·e·s diversifié mais non représentatif du corps enseignant français. Selon l’auteur, ces personnes « constituent un ensemble d’informateurs et d’informatrices privilégié·e·s qui témoignent ici des formes que peuvent prendre une pédagogie qui n’entend pas établir un lien entre le sexe d’un individu et un rôle à jouer dans la société » (p.201).

Les résultats de l’enquête éclairent les éléments suivants. Tout d’abord, les injures proférées par les élèves, si elles ont pour but d’offenser leurs adversaires, ne sont cependant pas perçues comme homophobes par les enseignant·e·s puisque, selon ces dernièr·e·s, les élèves n’en comprennent pas le sens. Paradoxalement, ces enseignant·e·s identifient une hiérarchie dans la gravité des insultes, établie en fonction de la manière dont elles atteignent leur cible. Selon G. Pasquier, « la non-compréhension du vocabulaire employé par les élèves sert donc d’argument pour ne pas aborder certaines questions liées aux discriminations dans l’espace scolaire » (p.206), prudence liée à la crainte de nuire aux élèves qui seraient ignorant·e·s quant à l’homosexualité, mais aussi quant à la sexualité de manière générale.

Une autre approche est identifiée, qui consiste à travailler avec les élèves sur la signification des mots et de questionner leur pouvoir : il s’agit d’ « apprendre à nommer ce que ces élèves ne connaissent qu’à travers des préjugés qui leur ont été transmis » (p.208). G. Pasquier donne à voir la démarche mise en œuvre par un·e des enseignant·e·s enquêté·e·s : il s’agit d’interroger l’élève sur la réalité que le mot désigne, de souligner le caractère péjoratif du mot, avant de déconnecter cette réalité de toute connotation négative et, ainsi, retirer au mot sa charge d’insulte (p.209). Il s’agit donc de réinvestir les injures de valeurs positives par un processus de resignification, terme proposé par Judith Butler dans ses travaux sur la performativité des mots et employé ici par G. Pasquier. Pour d’autres enseignant·e·s, le travail sur le pouvoir de mots doit permettre de responsabiliser les élèves en éclairant leur potentiel destructeur. Certain·e·s font un parallèle avec le racisme, dont le caractère discriminant est bien compris par la plupart des élèves, afin de rattacher l’insulte « à une impression ou des sentiments que l’enfant est capable de comprendre pour les avoir déjà ressentis » (p.211).

Toutefois, les stratégies de déconstruction des stéréotypes employées par les enseignant·e·s enquêté·e·s pourraient avoir des effets contradictoires. En effet, le travail sur la resignification des mots incite les élèves à renoncer à l’utilisation de certains termes, tout comme leur interdiction, quand bien même elle s’accompagne d’un travail de justification de l’interdiction, risque d’en figer le sens. 

G. Pasquier conclut en reprenant à son compte les réflexions de J. Butler sur la pénalisation des discours racistes, sexistes et homophobes, dont le·a locuteurice ne saurait être tenu·e pour seul·e responsable. L’insulte est antérieure à la personne qui la prononce ou qui la reçoit et s’inscrit dans un contexte plus large que celui de son énonciation : elle « ne fonctionne justement que parce qu’elle s’inscrit dans un système qui hiérarchise les individus en raison de leur couleur de peau, de leur origine sociale, de leur religion, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, système qui lui donne son pouvoir » (p.214). Ces arguments permettent, selon G. Pasquier, d’aller au-delà de la question du sens que revêtent les insultes homophobes pour les élèves tout en prenant en compte leur pouvoir discriminant. Ainsi, plutôt que d’interdire ces mots et de sanctionner les élèves qui les emploient, l’auteur préconise d’associer ces derniers au travail de questionnement et de déconstruction des stéréotypes de sexe dans un cadre scolaire.

Concepts, notions clés :

Homophobie, stéréotype, hétérosexisme, politiques éducatives, racisme, sexisme, insulte, injure 

Intérêt pédagogique :

Cet article propose une réflexion sur les stratégies mises en œuvre par des enseignant·e·s de l’école primaire pour faire face aux insultes homophobes proférées par leurs élèves. Il permet de « saisir la complexité des mécanismes à l’œuvre dans la lutte contre certaines discriminations dans un contexte éducatif avec des enfants » (p.196) et offre des pistes de réflexion pour améliorer les politiques éducatives sur ces problématiques, ainsi que des exemples concrets de réactions pouvant être adoptées par les enseignant·e·s.

Intérêt scientifique :

Un des apports scientifiques principaux de cet article est qu’il s’intéresse à la réception des injures homophobes, et plus particulièrement à la manière dont les témoins (ici les enseignant·e·s) les perçoivent et les interprètent. Alors que la plupart des travaux s’intéressent davantage aux intentions des locuteurs et des locutrices afin de montrer dans quelle mesure ces mots sont porteurs d’homophobie, de sexisme ou de racisme. Par ailleurs, cet article s’inscrit dans l’héritage des travaux sur la performativité des mots, notamment ceux de Judith Butler. Il peut constituer une entrée en matière pour les personnes qui souhaitent se pencher sur ces questions.

Rédacteur·ice : Cécile

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