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Monique Wittig, La pensée straight

TW : les termes d’hommes et femmes utilisés ci-dessous désignent le sexe socialement assigné aux individu·e·s. Monique Wittig reprend un vocabulaire binaire et cisnormé puisque c’est justement celui de la pensée straight qu’elle décrit et critique. 

Référence bibliographique :

Wittig Monique, La pensée straight (2001), Paris, Balland. 
D’abord publié sous The straight mind (1992), Boston, Beacon Press.

Type : Il s’agit d’un essai compilant dix articles parus à différentes occasions dans lesquels M. Wittig s’attache à déconstruire la « pensée straight » d’un point de vue lesbien.

Courte présentation de l’autrice :

Monique Wittig est une figure majeure du féminisme matérialiste. Romancière, philosophe et militante, elle a participé à la fondation du Mouvement de Libération des Femmes et a été l’une des signataire du manifeste des 343 en faveur de la légalisation de l’avortement en France. Elle critique cependant l’invisibilisation des lesbiennes au sein de ce mouvement, dont elle s’éloigne en s’installant aux États-Unis où elle enseigne au sein de plusieurs universités. 

Ses travaux théoriques sont découverts grâce à l’émergence des études de genre, notamment ceux de Judith Butler, qui la cite à de nombreuses reprises. Ses écrits sont en effet traversés par un traitement déconstructionnisme de la différence des sexes et de la distinction de genre. 

Résumé :

L’ouvrage est écrit depuis une position de lesbienne revendiquée, décrite comme celle d’une fugitive du régime politique hétérosexuel, ou  « pensée straight ». Il s’agit d’une idéologie fondée sur la différenciation entre les sexes, le sexe étant entendu comme une catégorie politique construite par cette pensée straight oppressive essentialisant les femmes. 

L’ouvrage a pour objectif la déconstruction philosophique et politique de ce système de pensée (chapitres 1 à 6), notamment grâce à la déconstruction du langage genré par l’écriture littéraire (chapitres 7 à 10). 

1. Première partie sur le politique et le philosophique de La pensée straight (chapitres 1 à 6) :

La pensée straight est un système de domination conceptuel et matériel qui présente la différenciation des sexes comme naturelle alors qu’il s’agit d’une construction idéologique qui masque l’opposition sociale de classe entre les hommes et les femmes. Dans la pensée straight, l’idée de nature anhistorique remplace les causes économiques, politiques et idéologiques de la domination d’une classe de sexe par l’autre. Cette naturalisation permet à la pensée straight d’être peu remise en question, ce qui est le propre de la pensée dominante : les catégories de sexe qui en résultent sont totalisantes, elles forment l’esprit et le corps pour nous empêcher de penser en dehors d’elles. Wittig compare ce processus avec celui de l’asservissement des esclaves qui s’est reproduit et a été légitimé pendant des centaines d’années.

Wittig veut détruire l’idée que les femmes forment un groupe naturel en montrant qu’elle résulte d’un processus historique de naturalisation et qu’elle assigne les individu·e·s socialement reconnu·e·s comme des femmes au modèle de « la-femme » contraignant et destructeur. Elle veut remplacer ce modèle par un nouveau mode de subjectivation (ou de définition de l’individualité) qui soit indépendant de ces carcans. Sa position de lesbienne est stratégique car il s’agit du seul concept qui soit au-delà des catégories de sexe. En effet, puisque « la-femme » se définit par l’appartenance à un homme (via le « contrat social hétérosexuel » du mariage), les lesbiennes ne sont des femmes ni économiquement, ni politiquement, ni philosophiquement. Elles échappent à la condition de domination qui a été pensée pour elles en tant qu’individues assignées femmes.  Ainsi, la lesbophobie découle du rejet de la possibilité d’une société hors du contrat social hétérosexuel. Le féminisme et le lesbianisme politique de Wittig sont fondés sur la fierté de ne pas être cette « vraie femme » essentialisée. Il s’agit de contrer les discours qui pensent comme évidents la relation différenciée entre hommes et femmes, notamment les sciences humaines de la pensée straight qui, en cherchant à définir des lois universelles, naturalisent la différenciation des sexes et invisibilisent les causes matérielles de l’oppression de la classe des femmes par la classe des hommes. La psychanalyse ou le structuralisme prennent ainsi l’hétérosexualité comme évidente et empêchent de créer de nouvelles catégories en-dehors de l’idéologie dans laquelle ces discours prennent place. C’est un exemple de la reproduction de la domination politique hétérosexuelle par le savoir, pourtant vu comme neutre.

La pensée straight opprime ainsi les femmes, les hommes homosexuels et d’autres catégories d’hommes, les maintenant tous·tes dans des positions dominées. Pour en sortir, elle propose une « sémiologie politique » de déconstruction de la naturalité de ces discours, dont le but est l’abolition des différences genrées entre individu·e·s. Il s’agit de changer de paradigme social pour mettre fin aux oppressions matérielles qui résultent de la pensée straight. Wittig ne veut donc pas encourager la fierté d’être différent·e, elle veut abolir cette différence pour construire un modèle social indépendant des normes de genre.

2. Deuxième partie sur le langage et l’écriture littéraire (chapitres 7 à 10) :

Chez Wittig, la remise en question du système de pensée straight passe notamment par la déconstruction du langage genré dans l’écriture littéraire. Le langage, via la marque de genre, est un puissant outil conceptuel de la pensée straight puisqu’il impose la différenciation des sexes au sein même du cadre de pensée des individu·e·s. En même temps, il peut constituer une arme pour détruire les catégories puisque l’invention de nouvelles formes permet de contourner les carcans que le système impose. 

L’idée de marque du genre cache l’identification du masculin à l’universel puisque dans le langage, seul le féminin a un genre alors que le masculin est la structure neutre. Le point de vue majoritaire est donc naturalisé dans la langue même, que chacun.e utilise quotidiennement pour communiquer et penser. Cette marque de genre oblige sans-cesse à rendre son sexe public lorsqu’on s’exprime, ce qui est aussi efficace pour la “pensée straight” que la déclaration du sexe à l’état civil. Le concept de genre, en s’inscrivant dans le langage, renforce donc la division matérielle entre les sexes. Pour détruire le genre, il faut innover par et dans le langage même.

L’écrivain.e minoritaire possède une capacité d’action importante grâce au travail du langage : en le  réinventant, iel peut mettre à mal la pensée straight . Wittig donne l’exemple de Djuna Barnes ou de ses propres romans, notamment Les Guérillères. Dans ce dernier, elle utilise le pronom « elles » comme personnage collectif, contestant l’utilisation généralisante habituelle du « ils ». Le « ils » n’apparaît qu’à la fin du roman, dans une bataille contre « elles »,  permettant ainsi d’universaliser le point de vue conventionnellement minoritaire et de particulariser le marqueur du masculin. Cela permet de comprendre la comparaison entre l’œuvre littéraire et le cheval de Troie qu’elle propose : le choc des mots est une « machine de guerre » qui peut renverser les formes conventionnelles.

Quelques citations marquantes :

« L’hétérosexualité est le régime politique sous lequel nous vivons, fondé sur l’esclavagisation des femmes » (introduction).

« Il n’y a pas de sexe. Il n’y a de sexe que ce qui est opprimé et qui opprime. C’est l’oppression qui crée le sexe et non l’inverse » (chap 1).

« La catégorie de sexe est le produit de la société hétérosexuelle dans laquelle les hommes s’approprient pour eux-mêmes la reproduction et la production des femmes ainsi que leurs personnes physiques au moyen d’un contrat qui s’appelle le contrat de mariage » (chap 1).

« L’avènement du sujet individuel exige d’abord la destruction des catégories de sexe, la cessation de leur emploi et le rejet de toutes les sciences qui les utilisent comme leurs fondements » (chap 2).

« Oui, la société hétérosexuelle est fondée sur la nécessité de l’autre-différent à tous les niveaux. Elle ne peut pas fonctionner sans ce concept ni économiquement ni symboliquement ni linguistiquement ni politiquement. Cette nécessité de l’autre-différent est une nécessité ontologique pour tout le conglomérat des sciences et des disciplines que j’appelle la pensée straight. Car qu’est-ce que l’autre-différent sinon le dominé ? » (chap 3)

« Qu’est-ce que la-femme ? Branle-bas général de la défense active. Franchement, c’est un problème que les lesbiennes n’ont pas, simple changement de perspective, et il serait impropre de dire que les lesbiennes vivent, s’associent, font l’amour avec des femmes car la-femme n’a de sens que dans le système de pensée et le système économique hétérosexuel. Les lesbiennes ne sont pas des femmes » (chap 4).

« Dire qu’un homme sur deux est une femme, que l’universel nous appartient même si nous avons été dépossédées et spoliées à ce niveau, de même qu’au niveau politique et économique , fait partie de notre combat » (chapitre 5).

« L’hétérosexualité est une construction culturelle qui justifie le système entier de la domination sociale fondé sur la fonction de la reproduction obligatoire pour les femmes et sur l’appropriation de cette reproduction » (chapitre 6).

Intérêt pédagogique :

Si le texte semble difficile d’accès pour être traité avec des adolescent·e·s, les idées qu’il met en avant sont primordiales pour traiter les questions de genre qui figurent parfois dans les programmes scolaires. En étudiant les différences de genre, il faut garder en tête que ces dernières ne sont pas naturelles mais produites par un ensemble d’outils idéologiques hétéronormés et cisnormés. L’analyse ne doit pas se limiter aux résultats de ces différences mais prendre en considération leurs causes : Wittig nous apprend qu’il ne suffit pas de constater les normes de genre, il faut les interroger et les remettre en question.

La réflexion sur le langage est également intéressante pour les professeur·e·s, en lettres mais pas uniquement. Prendre conscience des biais de pensée que nous impose la grammaire que nous devons utiliser dans notre travail, est une étape nécessaire pour pouvoir réfléchir à la manière de les contourner. 

Pour aller plus loin :

Découvrez un extrait du livre sur le site des Guérillères.

Rédacteur·ice : Mathi

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